Baisers de cinéma
"Je ne sais rien de mes origines. Je suis né à Paris de mère inconnue et mon père photographiait les héroïnes. Peu avant sa mort, il me confia que je devais mon existence à un baiser de cinéma."
Voilà une entrée en matière à la fois précise et pleine de doutes !
Jean Hector, le père du narrateur, était photographe de plateau ou opérateur lumière au temps de la Nouvelle Vague. Il a sculpté avec art la lumière de dizaines de films en noir et blanc. Il avait aussi l'habitude de photographier les actrices dans leurs moments d'abandon avant que retentisse le "Moteur ! Ca tourne !" Son appartement de l'île Saint-Louis est rempli de ces clichés mystérieux, jamais publiés.
Gilles a hérité de son extraordinaire sensibilité à la lumière et de questions restées sans réponse.
"Mon seul héritage paternel est d'être sensible à l'éclairage. Lorsque je me rappelle un événement de ma vie, ce n'est pas un visage ni une intonation de voix qui reviennent à mon esprit. Ma mémoire est une pellicule en clair-obscur." (p. 31)
A la mort de son père, le jeune avocat, qui se décrit lui-même comme "un piètre mélomane insensible à la mélancolie, doublé d'un avocat sans idéal autre que pécuniaire et cherchant vaguement la trace d'une mère de comédie" fouille sans relâche parmi les dizaines de photos pour découvrir qui pourrait être sa mère : Martine Carol ? Anouk Aimée ? Romy Schneider ? Il passe son temps au cinéma, à revoir les classiques français et italiens. En même temps, il noue une relation fantasque et fragile avec Mayliss, une jeune femme rencontrée lors des funérailles paternelles.
"Il émanait de son visage une beauté triste, un rien de perdu. Elle était très belle et très blessée. Ce jour-là, je ne vis que les blessures." (p. 34) "Mayliss était un sortilège, une femme, une amante, une soeur, une mère aussi, une dévoreuse de temps qui avançait dans la lumière posthume inventée par mon père." (p. 85)
D'Eric Fottorino, je connaissais déjà Un territoire fragile et L'homme qui m'aimait tout bas. Je lirai bientôt Questions à mon père. On sent dans le roman Baisers de cinéma combien la quête paternelle est un thème vital chez lui. Si la question semble "tordue" en créant un héros étonnamment né "de mère inconnue", le père de Gilles a emporté dans la tombe ses secrets. Seront-ils révélés telles les images dans un bac de révélateur photographique ?
Le roman est un bel hommage aux films et aux cinéastes de la Nouvelle Vague et d'autres, Français et Italiens, François Truffaut, Claude Sautet, Antonioni, Fellini, L'enfant sauvage, Le vieux fusil, L'homme qui aimait les femmes... et bien sûr aux opérateurs lumière. Un thème, des images qui traversent le roman dans les scènes exposées, dans l'écriture, parfois sobre, parfois très travaillée et toujours sensible d'Eric Fottorino. Pour impressionner notre propre pellicule de lecteurs !
C'est aussi l'occasion de voyager dans Paris, à pied ou en taxi, et de recréer avec bonheur les décors de la rive gauche, de Saint-Germain des Prés ou de l'île Saint-Louis.
Eric FOTTORINO, Baisers de cinéma, Gallimard, 2007 (et Folio n° 4796)
Un joli roman qui a obtenu le Prix Fémina en 2007 et le deuxième du mois pour mon !