Des corps en silence
Présentation de l'éditeur :
"Mariée à Joseph, donc, Henriette caresse l’anneau d’or à son annulaire. Son père dit : une femme qui a un amant est une femme sans honneur. L’honneur est cette longue chemise blanche, lisse, comme les linges d’hôpitaux dont on couvre les corps malades, suintant, et les cadavres. Pas de chemise avec Joseph, ni avant ni après le mariage. Elle veut cette bouche pour elle, ces fesses, ce sexe pour elle, elle imagine possible un mari fidèle, pour ça elle est prête à faire sa fille de rue, sa prostituée, sa courtisane, d’ailleurs ils n’auront pas d’enfant, pas de ces conséquences espérées, attendues du coït en chemise, peut-être est-ce un hasard, ou y est-elle pour quelque chose, s’y appliquant, ou simplement glaçant ses ovaires depuis le fond de son cerveau, de sa hantise d’avoir un corps de mère, ventru, déformé, impropre aux pulsions érotiques, comme les vaches tout entier tourné vers la gestation, la lactation, tendrement, inexorablement délaissé. Tout plutôt que ça : qu’il couche ailleurs. Elle dit tout elle pense tout, elle l’aime à se tuer."
Deux femmes en résistance contre la fin du désir amoureux. À un siècle d'écart leurs chemins se croisent, se confondent, se séparent : l'une tente l'impossible pour reconquérir l'homme qu'elle aime, l'autre imagine une rupture radicale. Toutes deux refusent le silence des corps.
C'est ma première découverte de Valentine Goby. Je lis partout que Qui touche à mon corps je le tue, livre publié avant celui-ci, est vraiment fort et dérangeant, mais j'ai déjà été très intéressée par Des corps en silence. Le corps a énormément d'importance pour elle, nous a dit Valentine Goby lors de la soirée littéraire à Lille, il est inséparable de l'esprit, l'humain est formé des deux et ne peut se couper de son corps. Et c'est vrai que le premier mot qui me vient à l'esprit après cette lecture est le mot "sensualité". Sensualité et souffrance, blessure et silence.
Claire et Henriette, deux femmes dont les histoires alternent et se répondent, se poursuivent et s'opposent de chapitre en chapitre. L'une est la jeune mère de Kay, cinq ans, en déroute au retour des vacances où elle a osé proposer la séparation à son mari : elle ne l'aime plus, elle se sent fourvoyée dans cet amour, enfermée comme un insecte qui se cogne aux parois d'un bocal. L'autre, en 1914, a divorcé de son mari pour épouser son amant, un homme qui lui a révélé le langage des corps amoureux, mais qui l'a petit à petit délaissée pour une autre. La première est perdue dans la grande arche de la Défense, par un jour caniculaire, la seconde a le coeur gelé par la neige sur la place de la Défense.
Les histoires des deux femmes sont parcourues d'échos et de couleurs, elles ont toutes deux une fille, la musique des pianos les touche toutes deux. Elles sont sensibles aux sons, aux couleurs, aux parfums qui traversent leur univers Si le silence des corps les tue à petit feu, elles sont cependant différentes : la plus ancienne est prête à se tuer par amour, enchaînée à un amour enfui, la plus jeune peine à trouver une liberté nouvelle.
J'ai lu que le personnage d'Henriette est inspiré d'une personne bien réelle. C'est elle qui m'a le plus touchée. Claire me faisait un peu peur dans son abandon, dans sa folie, j'avais le coeur serré pour sa petite fille !
Ce qui m'a frappée dans ce livre, c'est l'écriture tout à fait originale de Valentine Goby. Dans de longues énumérations (peut-être un peu bavardes et décousues au début), elle dresse le catalogue des objets, des accessoires, des émois, des douleurs. D'une plume rapide, pressée, elle nous fait ressentir, le froid, la chaleur, le sel des larmes, le désarroi de ces femmes. Parfois jusqu'à la nausée, dans une sorte de combat entre attirance et répulsion. Sans doute à la mesure de la douleur, la coupe de fiel qu'avalent Henriette et Claire.
Le roman est court (140 pages) mais elle nous amène au dénouement, à une forme d'apaisement, d'une façon très maîtrisée.
J'ai hâte de découvrir Qui touche à mon corps, je le tue !
Valentine GOBY, Des corps en silence, Gallimard, 2010
Catégorie "Corps humain" pour le Un livre
EDIT du 17 novembre : J'ai reçu un petit mot de l'auteur, qui m'avait laissé son adresse mail pour lui envoyer mon avis sur le bouquin dédicacé à Lille le 20 octobre (je ne l'ai aps encore lu...) et qui écrit ceci :
"Merci beaucoup pour ce partage et votre lien vers ce blog que je ne connaissais pas. Des corps en silence est né de Qui touche à mon corps je le tue, il y a des parentés très fortes entre ces deux livres, qui forment une sorte de prolongement l'un de l'autre. J'espère que vous y trouverez une sensualité aussi forte, qui comme dans Des corps en silence, se nourrit d'un rapport aigu à la vie et à la mort. Je vous souhaite une belle lecture.
Valentine"