Guadalquivir
Dans la famille des quatre éléments, je demande l'Eau et le Feu.
Le feu, comme l'incendie de poubelle initial que doit affronter Frédéric pour passer les rites d'initiation et être admis dans la Meute, un groupuscule de skinheads, et recevoir le pseudo de Croco.
Le feu, comme la colère qui roule dans la tête et le coeur de Frédéric, 16 ans, dont le père, immigré d'origine espagnole, est mort dans un accident suspect.
L'eau, comme les larmes qui ne peuvent couler et se transforment en rage.
Le feu, comme le soleil qui brûle la terre d'Espagne, celle où Croco est entraîné bien malgré lui, à la suite de Pepita, sa grand-mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer, qui s'est échappée de l'hôpital pour rejoindre son village, Jerez de la Frontera
L'eau, comme les eaux tantôt paresseuses, tantôt tumultueuses du Guadalquivir où a disparu le mari de Pepita.
Le feu, comme celui qui roule au fond des yeux de Kenza, la jeune Marocaine qui provoquera Frédéric à dépasser ses limites.
Le feu, comme celui qui traverse la poésie de Federico Garcia Lorca.
Le feu, avec un F comme frontière. Frontière entre quartiers, barrières entre clans, limite intérieure à franchir pour grandir et se trouver.
"Les autres font des descentes dans notre quartier pour casser des bagnoles ou des baraques. Et nous, on s'organise peu à peu pour se venger et tout faire cramer chez eux. C'est ça la Meute. Comme dans plein d'autres villes de France. Comme un grand réseau de sentinelles. Toujours prêts à rendre coup pour coup. Jusqu'au moment où on passera vraiment tous à l'action." (p. 33)
"Une solution radicale. Extrême. Et cette solution, c'était de souffler sur les braises. Raviver le feu. Le feu pour dissiper l'eau. Pour tout assécher. Jusqu'à la moindre goutte. Même si je devais brûler en même temps." (p. 70)
Je ne vous livrerai pas plus de citations ni d'indices pour ne pas dévoiler l'histoire de ce livre brûlant.
Je dois dire que j'ai été remuée par la violence qui déchire Frédéric. Comme il nous raconte lui-même son aventure, nous sommes plongés au coeur des bagarres, des chantages, des petits trafics de la cité, nous suivons des rites d'initiation sauvages, nous haletons dans des courses et des fuites effrénées, nous somme sans cesse sur le qui-vive, tendus, lancés dans un maelström d'émotions aussi haletant sur le papier que dans la réalité de "Croco". Des chapitres courts, un rythme haletant, qui s'offre de courtes pauses pour repartir aussi brutalement.
Un roman d'initiation qui ne manque pourtant pas de sensibilité.
Stéphane SERVANT, Guadalquivir, Scripto Gallimard, 2009
Un livre lu dans le cadre du Prix Farniente et qui sera mon Objectif PAL du mois (il y en aura peut-être un second...)
4/12