Ici ça va
Quatrième de couverture(que j'ai un peu élaguée car je n'ai pas enie de tout révéler, le roman est déjà assez court comme ça...) :
Un jeune couple s’installe dans une maison apparemment abandonnée. L’idée ? Se reconstruire en la rénovant. Tandis qu’elle chantonne et jardine, lui – à pas prudents – essaie de retrouver ses souvenirs dans ce lieu qu’il habita enfant. (...). Dans ce paysage d’herbes folles et d’eau qui ruisselle, ce sont les gestes les plus simples, les événements les plus ordinaires qui vont réenchanter la vie : la canne à pêche, la petite voisine, les ragondins, la tarte aux fruits, l’harmonica. Petit à petit, il reprend des forces et se souvient.
D'abord je tiens à remercier tout particulièrement Libfly et Alma Editeur : il a suffi que je laisse un petit commentaire enthousiaste sur le forum de Libfly consacré aux lectures en avant-première de la Rentrée littéraire pour que je reçoive quelques jours après les épreuves non corrigées du deuxième roman de Thomas Vinau, dont le premier, Nos cheveux blanchiront avec nos yeux m'avait beaucoup touchée.
Et en même temps, j'étais un peu anxieuse en ouvrant ce livre : de quoi allait nous parler Thomas Vinau cette fois ? Allait-il réussir à m'émouvoir, à me faire vibrer à nouveau, tout en me surprenant un peu (quand même) ? Tant de deuxièmes romans sont un peu décevants parfois, j'en ai encore fait l'expérience il y a peu...
Eh bien, c'est gagné, pour ce qui me concerne en tout cas ! Derrière ce titre pour le moins laconique, se cache une jolie histoire pleine de silenceet de douceur, de douleur et de discrétion... L'histoire d'un jeune homme dont nous ne connaîtrons pas le nom, venu habiter la maison de son enfance avec sa compagne Ema, une fille que l'on devine proche, attentive, sereine, une fille qui cherche la vie envers et contre tout. Et notre jeune homme est prêt lui aussi à re-chercher la vie, à re-construire quelque chose en lui en même temps qu'il retape la maison et la cabane dans le jardin. La blessure est bien sûr venue de l'enfance, et nous n'en saurons pas grand chose, nous ne ferons presque que deviner le vide que le jeune homme a essayé de masquer. Il va petit à petit se dépouiller de toutes les couches qui le protègent, il va laisser venir à lui les souvenirs, sans forcer, en travaillant la terre, en jouant du melodica, en consolidant un mur, en essayant de sauver quelques ragondins perdus (il a presque réussi à me les rendre sympathiques, ces rats d'eau, Thomas Vinau, c'est dire !) Et comme Ema et son compagnon réussissent à percer une trouée dans le mur de broussailles qui les empêche d'atteindre la rivière qu'ils entendent murmurer de chez eux, le garçon se permet de toucher du doigt sa blessure et de se laisser guérir grâce à l'amitié d'un vieux paysan, grâce à l'amour discret d'Ema.
Je vous dis chapeau, Monsieur Vinau ! J'ai l'impression que vous avez gagné en maturité, avec un roman plus construit, plus élaboré, un fil conducteur simple mais solide, et vous avez gardé en même temps votre poésie, votre attention aux toutes petites choses du quotidien qui redonnent le goût de vivre. Vous n'avez rien perdu de votre simplicité, de votre art de l'épure, non seulement dans l'écriture mais aussi dans la finesse d'approche des blessures d'enfance de votre "héros". Merci pour cette légèreté qui n'enlève rien à la valeur des souvenirs, merci pour le bon sens qui guide vos personnages du côté de la nature, de la terre, du rythme des saisons, merci pour cette empathie qui semble tellement innée chez vous et qui fait du bien, qui nous guérit nous aussi.
C'est en tout cas tout le bonheur que je souhaite à ceux qui découvriront votre nouveau livre.
"La force des petits matins frais. Ema m'a répété cette phrase ce matin. J'ai la force des petits matins frais. Elle revit ici. C'est ce qui compte. Je n'ai pas envie de fouiller dans ma mémoire. De fourrer mes mains dans la plaie, Juste débrouqqailler. Retrouver un mur. Un visage. Nous sommes partis d'ici quand j'avais quoi, six ou sept ans. C'était devenu invivable pour ma mère. Ils avaient choisi cet endroit ensemble, avaient crépi les murs, réparé le toit, la route, la fosse septique. Je ne sais pas pourquoi je me souviens de la fosse septique. Probablement parce qu'ils vaient construit au dessus une petite cabane pour les chiottes en attendant mieux. L'hiver le fond de la cuvette était gelé. Un étron figé oublié le soir qui se dressait comme un menhir nous avait bien fait rire. Mon esprit est un jardin désordonné. Une friche remplie de coton, de glace, de ronces et de fraises sauvages." (p. 33)
"C'est comme s'enfoncer dans une forêt ébouriffée. Ou marcher au bord de la rivière. On arpente sa vie. On choisit un chemin. On s'y habitue. On tente de retenir la route. L'itinéraire. C'est normal, il faut un biais pour découvrir. Un plan. Le chemin devient familier. Rassurant. On élabore nos propres repères. A partir de ce que l'on connaît. Mais on ne connaît rien. Les vrais ignorants ignorent leur ignorance. C'est un peu comme voir le paysage par une petite, petite, toute petite fenêtre.Et finir par croire que le paysage se limite à ce qu'on voit par cette petite, petite, tout petite fenêtre. Au lieu d'essayer d'élargir la fenêtre. De casser les murs. On préfère réduire ce paysage. Penser qu'il n'est que ce que l'on en voit. S'en contenter. C'est plus confortable. Et puis un jour on se rend compte que le monde est plus grand que nos yeux. Et on reste là, perdus. Au bord du vertige." (p. 47)
"(...) Nous dormons dans le salon. Il y fait plus chaud. Dehors l'eau nettoie tout. Elle prépare sa glace et le ciel fait sa vaisselle dans de grands éclats de lumière." (p. 82)
Thomas VINAU, Ici ça va, Alma Editeur, 2012 (132 pages)