Le Turquetto
Présentation de l'éditeur :
Se pourrait-il qu'un tableau célèbre – dont la signature présente une discrète anomalie – soit l'unique oeuvre qui nous reste d'undes plus grands peintres de la Renaissance vénitienne ? Un égal du Titien ou du Véronèse ? Né à Constantinople en 1519, Elie Soriano a émigré très jeune à Venise, masqué son identité, troqué son nom contre celui d'Ilias Troyanos, fréquenté les ateliers de Titien, et fait une carrière exceptionnelle sous le nom de Turquetto : le "Petit Turc", comme l'a surnommé Titien lui-même. Metin Arditi retrace le destin mouvementé de cet artiste, né juif en terre musulmane, nourri de foi chrétienne, qui fut traîné en justice pour hérésie…
Je ne connaissais pas Metin Arditi, et je suis particulièrement heureuse de cette découverte, d'autant que ce billet est aussi publié en hommage à Hubert Nyssen, fondateur des éditions Actes Sud, décédé le 12 novembre dernier. Nous sommes quelques blogueurs à publier un article aujourd'hui, et il y en aura tout au long de l'année 2012, le 12 du mois, jusqu'au 12 novembre 2012, où nous présenterons chacun un livre écrit par Hubert Nyssen lui-même. Ce projet vous intéresse ? Il n'est pas nécessaire de publier tous les mois ! Rendez-vous sur le blog Bonheur de lire où Denis vous explique tout !
Le Turquetto, donc... Il y aurait tant de choses à en dire, et je crains une fois de plus d'être décousue... Signe de coup de coeur !
D'abord j'ai lu ce livre très vite, avec une impression de facilité, d'appétit de découvrir. Attention, le mot facilité n'est pas péjoratif : je me suis rendu compte que l'écriture de Metin Arditi est d'une clarté, d'une limpidité, d'une simplicité qui sont en réalité le signe d'un grand travail. Une écriture ciselée, qui tient à la fois de la phrase musicale (normal, puisque ce romancier est aussi chef de l'Orchestre de la Suisse romande) et de la peinture à petites touches, "à la pointe du pinceau" comme le Turquetto aimait traduire sur ses toiles les détails les plus fins, les émotions les plus sensibles. Musique, couleurs et sensualité définissent cette écriture.
Ensuite, que de thèmes tous plus intéressants les uns que les autres dans ce livre ! Un jeune Juif né à Constantinople, qui s'enfuit pour échapper à ses origines et à l'interdiction de peindre faite aux Juifs, change de nom, se fait passer pour un catholique et devient l'un des plus grands peintres de Venise, à l'égal du Titien et de Véronèse. Evidemment, ce personnage est totalement fictif et pourtant on se croirait vraiment dans la cité des doges, en plein XVIe siècle, dans une ville décadente, dont l'Inquisition veut redresser les torts. Nous sommes au carrefour des trois grandes religions, judaïsme, chrétienté, islam, et suivant que l'on naît à Venise ou à Constantinople, il ne fait pas bon être juif en ce temps-là...
Tout commence et tout finit à Constantinople. Comment ne pas penser à Mathias Enard et à Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants ? Les deux romans valent chacun la peine d'être lus ! Quel bonheur de se replonger à nouveau dans les bazars grouillants, de croiser des personnages hauts en couleurs comme le mendiant Zeytine Mehmet ou Djelal, le calligraphe.
Evidemment, la peinture est au coeur du récit. Toiles, dessins, modèles, commanditaires, ateliers de Venise, il suffit de fermer les yeux pour y être transporté, mais l'essentiel n'est pas là : c'est l'urgence de la création, la force de l'inspiration, les liens entre peinture et pouvoir qui sont les enjeux de ce roman. C'est la soltude profonde d'un homme, Elie, Ilias, qui ne s'est jamais vraiment montré tel qu'il est en réalité parce que la société dans laquelle il vivait était organisée en castes aux frontières infranchissables. Un homme qui a pourtant intégré de façon sublime les différentes influences auxquelles il a été sensible. Un homme qui sera sans cesse dans l'inquiétude, et cherchera toute sa vie une forme d'apaisement, une réconciliation intérieure. Il la trouvera dans un dépouillement à la fois imposé et accepté.
Etrange alchimie qui nous fait refermer le livre la gorge serrée, les yeux pleins de tableaux disparus...
Un passage parmi d'autres qui m'a beaucoup touchée :
"C'était cela, être chrétien. Attendre l'autre. Comme le faisait le Christ du Turquetto. L'attendre avec une patience infinie. Lui dire : Je te prendrai dans mes bras et je te dirai que nous sommes seuls, toujours, toi, moi et les autres, tous autant que nous sommes. Seuls jusqu'au jour du Jugement dernier. Seuls et inconsolables de tant de solitude." (p. 208)
Metin ARDITI, Le Turquetto, Actes Sud, 2011
L'avis de Mimipinson, de Mathilde (Pages nuancées), de Mrs Pepys...
C'est le 400e billet que j'écris ! Si on m'avait dit ça quand j'ai commencé ce blog...
Un livre de la Rentrée littéraire 2011, et comme Metin Arditi vit et travaille en Suisse, il participe aussi au challenge Voisins voisines ! Et un premier hommage à Hubert Nyssen : Metin Arditi, un nouvel auteur dont je compte bien explorer l'univers !