Les amandes amères
Quatrième de couverture :
Découvrant que Fadila ne sait li lire ni écrire, Édith entrevoit à quel point la vie est compliquée pour un analphabète et combien c'est humiliant. Elle lui propose de lui apprendre à lire le français. Fadila n'est pas jeune. Édith n'est pas entraînée. L'apprentissage s'avère difficile. Ce qui semblait acquis un jour est oublié la semaine suivante.
Si Fadila a tant de mal à progresser, c'est que sa vie entière est difficile. Ce n'est pas une marginale. Elle a une famille, un toit, du travail. Mais la violence a marqué son rapport aux autres, depuis l'adolescence. Elle a de la rancœur contre son Maroc natal et, en France, elle ne se fait pas à la solitude. Elle vit dans une perpétuelle inquiétude.
Édith, de son côté, se sent de plus en plus démunie dans cette aventure dont elle a pris la responsabilité et qui va l'entraîner beaucoup plus loin qu'elle n'aurait cru.
Une amitié singulière, rugueuse et douce, amère, cocasse.
J'ai été très touchée par ce livre ! C'est le premier roman de Laurence Cossé que je découvre, et je suis contente d'avoir Au bon roman dans la PAL, même s'il y a beaucoup de titres publiés par la romancière entre ces deux-là.
C'est le personnage de Fadila qui m'a touchée, cette femme de soixante-cinq ans qui accepte d'apprendre à lire et à écrire à cet âge, mais aussi son histoire personnelle, sa solitude, son rapport aux hommes et à ses enfants, sa nostalgie, sa difficulté à se débrouiller avec la vie, en général. Mais c'est aussi Edith, ce pari insensé qu'elle entreprend, cette patience infinie (moi qui suis prof, j'aurais envoyé Fadila au diable depuis longtemps, je l'avoue...), cette intelligence de la femme qu'est Fadila et de sa situation.
Mais ce qui m'a le plus remuée, c'est de percevoir - ô si peu - le handicap que constitue l'analphabétisme (aujourd'hui, on ne dit plus ce "gros mot", on parle pudiquement de "non-scolarisation"). En cela, une fois de plus, le roman m'aura fait comprendre un peu de l'inconnu total dans lequel on tâtonne, de l'exclusion dont on est victime quand on ne sait ni lire ni écrire. Sans parler de ne pas avoir accès non plus au plaisir des mots, des idées, de l'abstraction.
Comment ne pas être touchée par cela devant cette anti-héroïne du quotidien le plus banal ? La construction du livre est à l'unisson des difficultés d'apprentissage de Fadila : il ne se passe pas grand-chose, on a l'impression de tourner en rond en apprenant les lettres de ses prénom et nom, en mémorisant les chiffres d'un numéro de téléphone. Mais petit à petit se dévoilent les arcanes de ce quotidien lassant, fatigant, de cette réalité amère dont Fadila a tant de mal à s'accommoder. Jusqu'à la fin, qui ne sera pas un happy end.
Une écriture discrète, toute en simplicité, une réalité "banale" pour un roman qui ne l'est pas du tout.
"Leurs rapports ont beaucoup changé. Voilà six mois qu'elles se connaissent et deux mois qu'elles sont encordées dans cette escalade.Il est clair que pour Fadila, Edith n'est plus la même. La relation n'est pas la même.
Elle ne semble pas souffrir de la difficulté de l'apprentissage, c'est peu dire. Quand elle vient s'asseoir à côté d'Edith pour lui faire savoir qu'elle est prête à travailler avec elle, ce qui ne se produit pas chaque fois, loin s'en faut, elle est détendue. Tout son être l'est. Cette équipée lui plaît." (p. 54 -55)
Laurence COSSE, Les amandes amères, Gallimard, 2011