Pas d'inquiétude
Pas d'inquiétude, c'est le récit d'un père dont toute la famille vient d'emménager dans une nouvelle maison, un nouveau lotissement, en bordure d'une rivière. Il est imprimeur, sa femme vient de changer de travail, d'ouvrière elle est devenue secrétaire ; ils ont deux enfants, Lisa, 16 ans, et Mehdi, 11-12 ans, jeune collégien. Ils s'apprêtent à profiter de la vie quand se déclare une maladie grave pour Mehdi. "Pas d'inquiétude" conseille aussitôt le médecin de famille. Mais cette injonction masque mal le bouleversement familial, les angoisses sourdes, les incompréhensions, les questions informulées, le sentiment d'infériorité face à ceux qui "savent". Pour pouvoir prendre soin de Mehdi entre les séjours à l'hôpital, c'est le père qui prend des congés de maladie car sa femme est trop occupée à se tailler sa place dans son entreprise. Plus tard, ce sont ses collègues qui lui offriront des jours de RTT pour lui permettre de rester à la maison.
Le livre raconte ces jours, ces semaines, ces mois marqués par l'incertitude, par la difficulté de chacun à trouver sa place, son équilibre au coeur de la famille. Par le silence surtout : comment entrer vraiment en communication avec Mehdi, qui semble devenu plus lointain, réfugié dans le monde de l'hôpital ? Comment exprimer les doutes, les questions, les insatisfactions pour cet homme qui était si à l'aise au travail, entouré de ses collègues imprimeurs, dans un monde d'hommes, et dont les émotions trouvaient un exutoire simple dans les gestes du métier ?
Ce n'est pas la maladie qui est ici à l'avant-plan, mais la relation père-fils, la traversée de la maladie, l'emploi de ce temps devenu mouvant, incertain.
On sent aussi toute la fibre sociale de Brigitte Giraud : pendant que l'homme, certes éloigné de son travail, se nourrit pourtant de la solidarité nouvelle créée par sa situation, pendant que le fils subit les traitements médicaux, la femme, elle, subit un harcèlement subtil de la part de sa supérieure hiérarchique. Situation qui rend vains tous les efforts que ce couple a consentis pour changer de statut social.
Sans révéler la fin, il faut souligner aussi la qualité littéraire du texte, sa construction aboutie. Il m'a fallu quelques jours pour lire ce livre, car même si la maladie n'est pas au premier plan, ces difficultés à trouver un nouvel équilibre, à s'adapter sans cesse à la loi des traitements, des soignants, faisaient largement écho en moi. Ne croyez pas que le livre ne m'a pas plu, au contraire : j'ai une fois de plus apprécié la finesse de l'analyse psychologique de Brigitte Giraud, qui ne craint jamais, semble-t-il, d'aborder des sujets difficiles.
"Nous imaginions que la vie se déroulait selon une ligne droite et que l'avenir serait forcément meilleur, nous pensions que la vie s'améliorait au fur et à mesure, c'est ce que nous observions autour de nous, chacun attendait ce qui allait le libérer, nous pensions que le bonheur était une conquête, une promesse, qu'il arrivait après une suite d'empêchements, après une série d'obstacles,une succession d'espoirs. Il manquait au départ toujours quelque chose, il manquait une voiture, un diplôme, un amour, un enfant, un appartement, un amour, un jardin, il manquait de l'argent, la vie n'était que manque mais le temps allait tout résoudre, allait tout construire, tout simplifier." (p. 63)
Je ne peux m'empêcher de faire des liens avec le film La guerre est déclarée, que j'ai enfin eu l'occasion de voir cette semaine, en pleine lecture de ce livre. Là aussi, le point de vue est celui de parents confrontés à la maladie grave de leur premier enfant, atteint d'une tumeur au cerveau à l'âge de 18 mois. Mais le rythme du film est radicalement différent de celui du roman : tout est dans la course, la vitesse, la fantaisie. Les mots que le père de Mehdi ne parvient pas à trouver, à exprimer, Roméo et Juliette les ont largement employés. Je suis ressortie du film avec des larmes et des rires plein les yeux, tandis que le livre me laisse quand même une impression plus pesante.
Et comme je fais parfois des rapprochements improbables mais qui me parlent, comme il est question d'eau dans le livre et le film (où les parents s'évadent de temps en temps à la mer), je pense aussi au poème Aphabet que je vous ai proposé ici : non, il n'y a pas qu'un alphabet pour passer les épreuves de la vie.
Brigitte GIRAUD, Pas d'inquiétude, Stock, 2011
Un très grand merci à Antigone (dont vous pouvez lire l'avis ici) : merci à toi d'avoir fait voyager ce livre jusqu'à moi et merci d'avoir patienté avant que je le lise !