Le Malade imaginaire
Tout le monde connaît, je crois, Argan, le plus célèbre hypocondriaque de la littérature française, dont l'obsession le conduit à vouloir à tout prix que sa fille Angélique épouse un médecin, tandis qu'il se fait berner par Béline, sa seconde épouse, heureuse d'avoir trouvé une si bonne vache à lait.
Bon, présenté comme cela, c'est un peu rapide, je le reconnais. C'est oublier la pétillante Toinette, servante à la langue bien pendue qui n'hésite pas à se coiffer du chapeau pointu des charlatans, le ridicule ronflant des Diafoirus père et fils, la sagesse de Béralde, frère d'Argan et même la tendre rouerie de Louison, cadette d'Argan.
Sous les masques de la farce et la critique de la médecine du temps de Molière se cache sans doute une sourde angoisse à l'approche de la mort. Alors, pour l'amadouer, Molière multiplie les effets comiques, les simagrées, les poursuites, les dialogues vifs et tranchants, les quiproquos, les tromperies. Et je ne peux m'empêcher de revoir les images du début de Molière, le célèbre film d'Ariane Mnouchkine, quand on ramène chez lui un Molière ensanglanté, expirant à la fin de la quatrième représentation de sa pièce.
J'ai vu cette oeuvre il y a quelques mois, dans la mise en scène nerveuse et pêchue de Daniel Hanssens, qui joue lui-même le rôle d'Argan. Du théâtre à l'état pur, pour le plaisir du texte original. Les décors et les costumes, eux sont résolument modernes : d'abord un espace scénique relativement dépouillé où le décor est constitué par un immense fauteuil, dont le siège sert tour à tour d'alcôve ou de mezzanine, l'espace entre ses pieds représente la chambre ou le salon d'Argan. Ensuite, les costumes ont été conçus selon le même sens de l'épure : à la fois modernes et "simples", un détail typique pour chacun renvoie au dix-septième siècle, un jabot de dentelle, des chaussures ou un ruban.
Si les scènes s'enchaînent sur un rythme endiablé, privilégiant nettement l'univers de la farce - sauf dans la confrontation entre Argan et son frère -, les interludes font percevoir la face sombre d'Argan, sa peur de la mort : pendant qu'il dort, des fantômes secouent ses rêves, des spectres s'agitent sur une musique à la Hitchcock. Mais c'est l'amour et la médecine qui finiront par triompher dans le ballet final des chirurgiens et des infirmières !
C'est l'un des plus beaux spectacles que j'ai vus cette saison à Tournai. Je suis donc bien contente d'inaugurer avec cette pièce et cette mise en scène le challenge de Sharon.
MOLIERE, Le Malade imaginaire, Classiques Hatier, 2003