Ravel
Présentation de l'éditeur :
"Ravel fut grand comme un jockey, donc comme Faulkner. Son corps était si léger qu'en 1914, désireux de s'engager, il tenta de persuader les autorités militaires qu'un pareil poids serait justement idéal pour l'aviation. Cette incorporation lui fut refusée, d'ailleurs on l'exempta de toute obligation mais, comme il insistait, on l'affecta sans rire à la conduite des poids lourds. C'est ainsi qu'on put voir un jour, descendant les Champs-Élysées, un énorme camion militaire contenant une petite forme en capote bleue trop grande agrippée tant bien que mal à un volant trop gros."
Ce roman retrace les dix dernières années de la vie du compositeur français Maurice Ravel (1875-1937).
J'ai lu ce livre parce que le club de lecture de ma bibliothèque nous proposait de découvrir Jean Echenoz en décembre. J'ai donc choisi ce titre (dans ma PAL depuis juin dernier) (héhé un en moins)... que je n'ai pas fini à temps pour le club... mais que j'ai lu avec plaisir. J'adore la musique de Ravel, les concertos pour piano, la sonate pour piano et violon, d'autres pièces de musique de chambre (jouées par les frères Capuçon et Frank Braley) (arg), des pièces pour piano par Martha Argerich (re-arg), le Boléro évidemment... font partie de ma discothèque. Mais je connaissais très peu de chose sur l'homme, sur le musicien. Et ce récit (plutôt que roman ?) de Jean Echenoz m'a donné l'occasion de me cultiver un peu... et d'en apprendre plus.
Le style adopté par l'auteur semble froid, distancié, mais cela ne m'a pas dérangée : il s'en dégage au contraire une authenticité, une vérité inattendue sur la personnalité de Maurice Ravel. Tout commence par la sortie d'une baignoire par l'artiste, qui inaugure une tournée triomphale en Amérique, et ce ne sera pas tellement de musique qu'il sera question, mais plutôt des goûts vestimentaires très élégants, des manies du compositeur, de ses insomnies, de sa fatigue chronique. Si Ravel a un succès et une reconnaissance certains, il ne dispose cependant pas de revenus pharamineux. On l'imagine dans sa petite maison rocambolesque de Montfort-l'Amaury, avec sa gouvernante, avec son cercle d'amis plus ou moins fans de sa musique.
Plus tard, à l'occasion d'une rencontre avec Paul Wittgenstein, le pianiste amputé du bras droit, qui commandera à Ravel un Concerto pour la main gauche, on découvre seulement le musicien à l'oeuvre, son exploration du genre du concerto. Il composera également le Boléro, né d'une idée fantaisiste, et tout le monde criera au génie, au grand étonnement de Ravel.
Ce qui est surprenant à découvrir aussi, c'est le compagnon principal des jours de Ravel : l'ennui... Le compositeur estime avoir exploré tous les genres et ne resssent plus d'inspiration. La fin de sa vie est perturbée par des troubles cérébraux inexpliqués.
Mine de rien, sous des dehors apparemment impersonnels, l'auteur nous retrace le portrait d'une époque, celle des transatlantiques, du public qui acclamait les auteurs-interprètes de musique classique en direct, celle d'un homme inspiré par le jazz qui a laissé parmi les plus belles pages de la musique française.
"Après le dîner, après qu'on a procédé à la collecte traditionnelle pour les gens de mer, après que Ravel a donné comme il donne toujours, la fête peut commencer. Cette f^te considérable se déploie dans toutes les superstructures du paquebot, jusque tard dans la nuit voire au matin pour certains, une fois qu'on s'est longuement congratulé sur le coup de minuit pour marquer la nouvelle année - compliments qui, vu les provenances géographiques des passagers, le décalage horaire et l'enthousiasme de l'alcool, se répètent de plus en plus vivement toutes les heures jusqu'aux premières lueurs du jour. Ce ne sont que ballons, confettis, guirlandes et serpentins dans les salons, fumoirs, cafés, véranda set coursives qu'animent à tous les coins diverses espèces d'orchestres prêts à satisfaire n'importe quel goût. Une formation de chambre oeuvre sagement à distance respectueuse d'un orchestre de danse, une chanteuse réaliste française fraternise avec un quatuor russe, mais c'est non loin d'un groupe de jazz que Ravel, attentif à cet art neuf et périssable, passe quant à lui la plupart de sa nuit parmi les Américains saouls." (p. 39-40)
Jean ECHENOZ, Ravel, Les Editions de Minuit, 2006
Un livre que j'inscris naturellement dans le challenge