L'insomnie des étoiles
Maria est une jeune adolescente de 15 ans, elle vit dans une ferme quelque part en Allemagne, à la fin de la seconde guerre mondiale, ou plutôt elle survit, se nourrissant de quelques patates et oignons, dormant près du poêle, s'occupant à se promener sur la propriété familiale, à faire des fagots, à contempler deux chevaux restés là, aussi affamés qu'elle... Et surtout elle est seule, profondément seule, laissée à elle-même : sa mère a disparu, on ne sait où, son père est parti à la guerre, sur le front de l'Est. Un jour, des policiers débarquent et pillent méthodiquement la ferme, ne laissant que le vieux fauteuil et le secrétaire bancal où sont enfermées les lettres du père. Ils se serviraient bien de Maria aussi, mais celle-ci réussit à se cacher.
A la fin de la guerre, des Français sont chargés d'administrer le canton, sous les ordres du capitaine Louyre. Les soldats découvrent la ferme, la jeune fille décharnée, et un cadavre calciné...
Louyre, un drôle de soldat, dans une période où toutes les exactions pourraient sembler permises et où on commence à avoir vent des atrocités commises par les nazis durant cette guerre. "Courageux sans être un vrai militaire, voilà ce qu'on lui reprochait et cela suffisait à faire de lui un officier d'appoint qu'on ne blâme ni ne récompense, mais qu'on laisse seul, à la première occasion, dans un fortin d'altitude battu par les vents, devant un immense désert de sable que plus personne ne convoite." (p. 105) "Louyre parlait avec détachement car ni les êtres ni les choses n'avaient de prise sur lui." (p. 58)
Un drôle de capitaine qui va s'intéresser à ce cadavre calciné, à cette presque jeune femme, aux habitants de la petite ville qui sortent sans remords de la guerre, et à cette grande maison de repos qu'on a vidée de ses résidents quelques mois avant l'arrivée des Alliés...
J'ai été surprise des liens inattendus entre Shutter Island, lu juste avant, et L'insomnie des étoiles : il y est question de schizophrénie et de manipulation, d'emprise et de folie. Ici, la manipulation consiste à faire passer la résistance pour de la folie, l'emprise et la manipulation sont le fruit de l'idéologie de l'eugénisme (je l'avais deviné assez vite). Je n'ai pu m'empêcher de faire des liens aussi avec la réflexion posée dans Pitié pour le mal, même si la trame du roman, les personnages sont radicalement différents.
A vrai dire, je ne sais pas si j'ai aimé ce roman : je me suis laissée porter par l'histoire, je n'ai pas été rebutée par l'apparente lenteur (lenteur intelligente, avec l'apparition très progressive des noms des personnages, par exemple, lenteur qui colle à la mélancolie de Louyre, dont on aimerait en savoir un peu plus sur les événements à l'origine de son acharnement à connaître la vérité et à la faire accoucher par les coupables). Les moments les plus intéressants sont le début, quand nous accompagnons Maria dans sa vie tellement rude, dans un tel abandon, un tel sentiment de déréliction - et en même temps, quelles ressources elle a trouvées pour survivre ! - et la confrontation entre le capitaine Louyre et le docteur Halfinger, l'ancien directeur de la maison de repos. Je pense que mon sentiment de malaise vient de l'absence d'empathie, de compassion : non seulement celle de certains personnages du roman, mais aussi celle que j'ai eu bien du mal à ressentir parfois, même pour Maria. Ce détachement qui caractérise Louyre, peut-être le lecteur est-il "obligé" de l'éprouver pour réfléchir, choisir, au-delà de toute considération de personne. Au final, sans doute ce roman, pioché en bibliothèque, fera-t-il lentement son sillon en moi...
Un dernier petit extrait qui illustre cette réflexion, et je l'espère, cette trace à venir : "La tranquille assurance qu'il affichait, sa marche déliée, la franchise de ses traits ne disaient rien sur la souffrance de l'officier. Il n'avait pas l'intention de se remettre de cette guerre,ni de l'enfouir dignement comme l'avaient fait ses parents, éponges silencieuses d'un siècle sans espoir. Il voulait toucher aufond, sans jamais se mentir, y patauger, se prétendre l'intime de l'insondable dans sa descente vertigineuse vers l'innommable dont un grand nombre croient s'affranchir par un mutisme salutaire. "Quand le mal atteint de tels sommets, le bien ne connaît plus de plaine", pensa-t-il en se remémorant sa campagne depuis le débarquement en Sicile. Le bruit avait couru sur des exactions si terribles que l'imagination ne parvenait à en dresser que des contours maladroits où la rumeur était livrée à elle-même." (p.127)
Marc DUGAIN, L'insomnie des étoiles, Gallimard, 201
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