Un article de Nadège : Amoureuse et L'art de conjuguer les hommes mariés, d'Eva Kavian

Publié le par Anne

Amoureuse

 

Tu poses tes lèvres

très doucement

sur les miennes

j’ai quatre volées d’escaliers

pour faire comme si

ce matin

était pareil aux autres.

Eva est amoureuse, elle l’écrit, le murmure, le crie, le chante, le danse, en fait une salade de fruits : fraises, cerises, framboises et jus de mirabelle se mêlent… comme les corps, fermes, longs, juteux, sucrés… les rires s’accrochent dans des pinces à cheveux et les larmes s’écoulent sur les quais de gare… Les trains passent, l’attente reste… Langoureuse, jouissive, impuissante… Eva est amoureuse, Eva saute, Eva marche sur un fil… Celui capricieux du bilboquet amoureux…

J’ai attendu qu’il m’aime, qu’il revienne ou qu’il reste, qu’il soit là ou que cessent mes larmes, j’ai attendu, j’ai perdu […] J’attendais qu’il agisse ou qu’il sache, qu’il me montre ou me dise, j’ai attendu que le temps. […] j’ai attendu qu’il décide, qu’il se tire, qu’il se tue, puisqu’il ne m’aimait plus […] J’ai attendu longtemps, passionnément, à la folie, tendrement.

La langue est sensuelle, voluptueuse, tout en sucre et caramel, dégoulinant sur les lèvres brillantes, se glissant dans les plis des peaux qui s’enlacent, collant, amers, sur les doigts qui se desserrent, poissant les cœurs qui se souviennent des douceurs / douleurs anciennes.

Eva est amoureuse. Il faudrait se dit-elle mettre amour et toujours dans le même poème, mais elle sait que toujours n’existe que pour les framboises écrasées sur les nappes trop blanches alors elle plonge dans la confiture, comme si l’on pouvait se noyer dans un bocal avec l’amour posé au bord.

Eva aime des amants longs, absents, ou en chaussettes. Eva se berce d’illusions, de mots doux, aime des songes et des souvenirs. Des espérances déçues ou à venir.

J’ai trop aimé déjà

ceux d’ici qui se cherchent

et vont ailleurs,

à ne savoir d’où ils sont

Eva sait qu’elle tourne en rond, que les histoires d’amours sont à dormir debout éternellement recommençant parce que jamais avant. Mais Eva s’emballe, encore et toujours même si…

[…] j’ai fini la journée comme une vioque affalée, juste capable de lire que je t’intimidais et que nous avions la même pointure, celle qui trouve difficilement à son pied chaussure, où être bien et que ça dure.

 

Amoureuse, ce sont « Des poèmes sucre de bilboquet, des poèmes sucre de coquillages bleus pour jouer à cloche-pied avec l’amour » joliment illustrés par Georges Van Hevel, publiés aux belles éditions Les Carnets du Dessert de Lune.

On joue à qui ira jusqu’à l’autre mais on reste chez soi parce qu’on ne voit pas d’ailleurs où pouvoir vivre après tous ces départs.

 

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 Mais il arrive, l’amour avec sa bague en or : Ils sont perdus ceux-là. Eva le sait déjà, toute sucrée du premier baiser, mais elle ne pense pas au chemin du retour, elle chante mon amour mon amour dans la bouche rouge de l’homme qu’elle appelle depuis toujours.

Cet extrait d’Amoureuse préfigure déjà les textes plus récents d’Eva Kavian publiés sous le titre : L’art de conjuguer des hommes mariés. Ce petit ouvrage, « achevé d’imprimer avant la floraison des premières jonquilles de 2012 » est, lui aussi, publié aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune (non, je n’essaie pas du tout de vous convaincre de découvrir cette maison que j’aime passionnément, à la folie, tendrement).

L’art de conjuguer des hommes mariés, je l’ai lu deux fois depuis son achat à la foire du livre le mois dernier : la première fois quasi instantanément à mon retour, la seconde il y a quelques jours. La première fois, je dois avouer, j’étais mitigée… 1) je m’attendais banalement au point de vue d’une femme – maîtresse ; 2) je m’attendais plus de « pétillance » ; 3) ça me semblait rempli de phrases « clichés ». La seconde fois, 1) j’ai lu le titre convenablement : L’art de conjuguer des hommes mariés ! Allez savoir pourquoi, j’avais lu la première fois « les » au lieu de « des », déjà ça changeait ! 2) j’ai trouvé intéressant d’avoir pour une fois le point de vue d’un homme et j’ai commencé ma lecture en étant dans cet esprit ; 3) j’ai lu la quatrième de couverture :

Chaque histoire d’amour est unique, bien sûr, et pourtant, dans certains cas, le singulier touche à l’universel. J’ai entendu ces phrases, ces belles paroles. Je les ai conjuguées, non pas pour relever le défi inutile de traverser notre conjugaison complexe, mais parce que j’ai entendu d’autres femmes, éblouies, hallucinées d’amour, me répéter ces mêmes phrases qu’elles venaient d’entendre, tirées elles aussi d’histoires singulières et exceptionnelles. Ces phrases étaient pour elles la preuve de la beauté de leur histoire d’amour unique et merveilleuse, comme elles le furent pour moi. Et, à les entendre, j’ai eu envie d’écrire cet art de conjuguer des hommes mariés. Je le revendique : dans ce texte je règle mes comptes avec ceux qui usent de cette lâcheté dévastatrice.

Ce qui explique clairement et justifie pleinement le recours à un monceau de phrases et récits désespérant de banalités : Rien qu’à l’idée de ces jours sans toi, j’ai l’impression d’être amputé d’une partie de moi-même ; C’est vrai, je ne t’ai pas dit que je suis marié. Mais tu ne m’as rien demandé […] Tout a basculé quand je t’ai rencontrée. ; Je la quitterai dès qu’elle sera prête

Des clichés oui, des phrases singulières et universelles, et le talent d’Eva Kavian pour les conjuguer en un bel exercice de style : retraçant l’histoire de couple adultère en sept parties, chacune sur un mode (indicatif, subjonctif, impératif, infinitif, participe, conditionnel, gérondif) et divisée en petits « chapitres », chacun écrit à un temps bien précis.

Je terminerai par quelques mots extraits de l’avant-propos signé par Pascal Blondiau : « Comme il existe des géographies sentimentales, Eva Kavian tisse une grammaire sensible, croise les fils d’un drame qu’elle nous invite à conjuguer à toutes les personnes. »

Eva Kavian, Amoureuse, Les Carets du Dessert de lune, 2007  

Eva Kavian, L'art de conjuguer les hommes mariés, Les Carets du Dessert de lune, 2012

  

  Ce second titre compte pour le défi (Belgique)Logo Voisins Voisines Calibri noir cadre blanc 

 

 

Publié dans Les Mots de Nadège

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N
Le premier est peut-être plus féminin, il est vrai. Et je pense que j'ai une plus grande tendresse pour celui-ci. Il est plus "pétillant" aussi, je dirais.
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A
Le deuxième me tenterait plus que le premier.
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C
Belle chronique Nadège, merci pour le partage ;)<br /> Bonne journée !
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A
L'amour comme un bonbon ou une sucrerie... ça fond il est vrai !^^ Joli billet Nadège !
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